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Site général : jeanclaudemeynard.com
 
 
L’année suivante, l’exposition de Meynard s’intitulait sans ambiguité « Pertes d’Identité » et
se référait clairement au trouble schizophrénique que le Petit Robert définit comme repli sur
soi, difficulté d’adaptation aux réalités extérieures » (c’est une litote). La solitude, l’angoisse,
le suicide y apparaissent comme conséquences d’une réalité délirante dont les images
avaient été au préalable données à la manière du pop-art (qui à sa manière, est peut-être
bien un délire). La manière du peintre s’adaptait à cette évolution de son sujet et sa facture
auparavant glacée (comme les photos peuvent se tirer sur papier glacé), sans perdre de sa
précision, se brouillait dans une sorte de nuée pointilliste, comme si la trop forte évidence
des choses ne pouvait plus être supportable qu’à travers un écran.
 
  Cette double dérive du sujet et de la manière, Meynard l’a continuée avec la «Série Noire»
qui compose une histoire mystérieuse où rien n’est vraiment dit mais où tout un ensemble
d’indices peut entraîner l’imagination sur bien des pistes. Antonioni, Hitchcock, Patricia
Highsmith, entre autres, en sont des références précises dont la compréhension n’est
pourtant pas nécessaire pour sentir la présence inquiète de cette peinture dont le ressort
est une angoisse mélancolique dans la solitude, avec cette impression qu’à chaque instant
quelque chose qu’on ignore est sur le point de se passer. Une ombre, un reflet sont là comme
signes d’une présence menaçante. L’autre vient de faire son apparition.
 
 

Le jeu, au sens du pari, ne va jamais sans angoisse, et ce que l’on risque de perdre, encore
plus que sa fortune, c’est soi-même. Vous souvenez-vous, dans ce film d’après Dostoievski,
de Louis Jouvet sortant dignement de la salle de jeu où il a tout perdu? - C’est déjà un
homme mort. Car ce n’est jamais contre un autre qu’on joue. C’est contre soi-même, contre
son double .Ainsi cet homme devant une machine à sous dont on devine qu’elle est à son
image. Ainsi notre joueur de flipper, dont le visage s’inscrit en triple reflet sur le bord brillant
de l’engin.

D’abord un certain vide du monde (parce que trop plein de choses). Ensuite la solitude. Puis
la sensation de l’autre. Enfin le double. Est-ce à dire que l’autre c’est le double et que le
double c’est l’autre? Ne cherchons pas à réduire cette ambiguité que Meynard figure dans
sa peinture, puisque c’est sur tout un jeu d’ambiguités qu’elle se fonde. Puisque ce qu’elle
figure c’est moins une réalité qu’un certain vertige dans cette réalité.

 
 

Un jeu de miroir qui dédouble l’image. Un jeu de prisme qui la morcelIe. La réalité serait
toujours bonne à dire si on pouvait la dire et l’effort que fait la peinture sinon pour la dire du
moins pour la montrer, se heurte à l’impossibilité de prendre la réalité pour son image (et
inversement), elle ne peut jamais être que l’expression d’une dérive par rapport à cette réalité,
d’un double mouvement vers et hors de cette réalité, vers et hors de soi-même. C’est
souvent par de simples déplacements qui suffisent à lézarder nos prétentieuses certitudes
qu’opère l’Ange du Bizarre par qui, selon Edgar Allan Poe qu’affectionne Meynard, toujours
arrive le scandale.

Gilles Plazy Paris - Mai 1979